Le CECAP (Centre d’étude comparée entre Administrations publiques) du Collège Polytechnique International « CPI » s’est penché sur la Déclaration de Politique Régionale « DPR » de la nouvelle majorité CDH-MR. Au-delà des discours, voici quatre balises auxquelles les citoyens et les observateurs de la vie politique wallonne devraient être particulièrement attentifs dans les mois qui viennent …
Constat de départ
Un point d’infléchissement retient tout particulièrement l’attention dans cette nouvelle politique régionale. Il est focalisé sur la volonté de transformer plus vite et plus profondément certaines administrations régionales et provinciales.
Ces changements vont dans le sens des réformes actuelles en Europe comme la création des grandes régions en France ou encore la digitalisation des processus d’agrément. Ces ruptures méritent au moins quatre recommandations si l’on veut réussir une nouvelle avancée dans l’amélioration continue, mais très lente, des services aux citoyens et aux acteurs socio-économiques wallons.
Quatre pistes semblent devoir être suivies à la loupe, par les citoyens et les observateurs de la vie politique, dans les semaines qui viennent :
Le nouveau gouvernement va-t-il réellement mettre la refonte administrative au service des citoyens en une période aussi courte ?
Le nouveau gouvernement va-t-il utiliser plus efficacement l’intelligence et les capacités des administrations, ou encore les services de l’Ecole d’Administration Publique Wallonie-Bruxelles, pour réussir ces transformations et jouer une logique de complémentarité exemplaire entre pouvoirs politiques et pouvoirs administratifs ?
Le nouveau gouvernement va-t-il en profiter pour poursuivre, voire accélérer, la réflexion sur la digitalisation des administrations et la prise en compte réelle des besoins du citoyen avec des acteurs tels l’ETNIC, l’ADN ou les services d’organisation des ministères et des organismes publics eux-mêmes, ou va-t-il relancer simplement des marchés de consulting multiples, ponctuels et repartir de pages blanches bien coûteuses ?
Le nouveau gouvernement va-t-il accompagner ces restructurations, ces nouveaux transferts de compétences et de moyens, d’une réelle démarche de gestion du changement avec un renforcement des acteurs publics en termes de dynamique positive de changement ou va-t-il jouer le rapport de force à quelques mois des prochaines élections ?
Défi n°1 : Changer l’administration ou renforcer le service public
L’administration publique provinciale ou régionale a comme finalité des pans entiers de services à la santé, à l’éducation, à la dynamique économique.
Les administrations chargées de ces services aux citoyens et aux acteurs économiques peuvent être considérées comme de simples outils que l’on peut essayer d’optimiser, même si ces administrations n’en sont pas moins également des corps sociaux, des employeurs et des balises symboliques dans la vie de nos concitoyens. La création du SPW en fusionnant le MRW et le MET n’a de fait pas été une révolution pour les citoyens et très peu pour les entreprises de Wallonie. Les gains en sont restés modestes et mériteraient une actualisation des données sur les économies réalisées.
La mise sur pied d’une administration fiscale régionale ou les derniers transferts de compétences fédérales vers les régions semblent prendre en tout cas du temps et nécessiter un accompagnement réel si on veut les réussir. Ici décréter ne sert pas à grand chose.
Vouloir refondre - en une bonne année - les Provinces et des pans entiers des services publiques régionaux peut sembler à tout le moins ambitieux. Sans dialogue réel – et donc sans ce temps de dialogue – le Gouvernement qui se met en place ne pourra que décréter ces changements de façon fort unilatérale. Il ne peut donc y trouver la pleine légitimité que si ces changements sont clairement fondés sur une amélioration réelle du service aux citoyens. La tentation existe de créer un climat tendu avec les corps administratifs et les syndicats pour cristaliser les futures élections. Cette tentation, en ces périodes de doute et de défiance, personne ne devrait songer à l’utiliser. Il conviendra donc ici pour les observateurs de la vie publique de vérifier que le gouvernement porte clairement des objectifs d’amélioration du service public – pour une ou deux réformes locales mais symboliques – plutôt que d’engager un bras de fer entre pouvoirs politiques d’un côté et pouvoirs administratifs de l’autre.
Défi n°2 : Changer l’administration ou créer des marchés de consultance
Le premier signal de cette volonté, soit de confrontation, soit de nouvelles formes de synergies, sera assez facile à observer : le nouveau gouvernement va-t-il utiliser plus efficacement l’intelligence et les capacités des administrations ou encore les services de l’Ecole d’Administration Publique Wallonie-Bruxelles, pour réussir ces transformations et jouer une autre logique de complémentarité exemplaire entre pouvoirs politiques et pouvoirs administratifs ?
Cette exemplarité porte sur sa capacité à remplir ses obligations en ayant une gestion saine des deniers publics et, également, de la gestion des ressources humaines et de leur utilisation pleine et entière.
L’administration wallonne, plus que d’être stigmatisée, devrait trouver motif de satisfaction à pouvoir prouver ses qualités, son implication et sa capacité à distiller une dynamique qui est une référence essentielle dans le développement de la société. Il est logique qu’elle évolue et se modernise au rythme de la société afin de maintenir cette exemplarité acquise lors des défis, des contrats d’avenir ou des plans Marshall.
Au-delà de la mise en œuvre des compétences et des idées des femmes et des hommes qui composent nos administrations régionales, le nouveau gouvernement pourrait même marquer des points dans la formation continue de ses employés en donnant un coup d’accélérateur à son Ecole d’Administration Publique, aujourd’hui en ordre de marche même si elle est encore loin des initiatives équivalentes françaises ou encore québécoises.
Le nouveau gouvernement se donnera-t-il comme priorité un nouvel investissement dans ses moyens de formation afin de répondre aux transformations des missions ? Sera-t-il celui qui rendra encore plus facile et plus qualitatif l’accès aux savoirs, aux technologies et aux nouveaux outils de management pour les personnels provinciaux et régionaux ? Sera-t-il celui qui amplifiera le modeste début de ces outils de formation qui favorisent l’acquisition interne de savoir-faire, l’estime de soi et la propagation de bonnes pratiques et d’idées innovantes ?
Défi n°3 : Simplification administrative et remise à plat toujours bienvenues si elles sont concrètes
Le nouveau gouvernement va-t-il profiter de sa volonté d’inflection et de réorganisation pour poursuivre, voire accélérer, la réflexion sur la digitalisation des administrations et la prise en compte réelle des besoins du citoyen avec des acteurs tels l’ETNIC, l’ADN ou les services d’organisation des ministères et des organismes publics eux-mêmes, ou va-t-il relancer simplement des marchés de consultance multiples, ponctuels et repartir de pages blanches bien coûteuses ?
Un élément régulièrement développé concerne la complexité des démarches administratives. La nécessité de simplifier celles-ci semble une évidence pour tous. Les bénéfices de cette simplification sont reconnus, qu’ils soient à destination des citoyens, des entreprises ou à destination de l’administration elle-même.
La simplification des procédures administratives se doit de passer par une gestion efficiente des données au sein des administrations et par l’accessibilité de l’administration pour le citoyen au-travers d’une communication « multicanaux ». La digitalisation est un véritable vecteur de croissance en Europe et permettra indéniablement une économie à long terme des deniers publics tout en amplifiant les services et l’accessibilité des services publiques.
Prenons un exemple concret : cette simplification administrative pourrait, pour les acteurs économiques, se formaliser par un bilan fiscal unifié. Ce bilan fiscal permet de bénéficier d’une situation globale claire et d’objectiver les aides, les soutiens, les réductions et les taxes afférentes aux activités économiques. Le bilan fiscal pourrait aisément s’inscrire dans le prolongement logique d’un Point de Contact Unique « PCU ».
La création d’un PCU doit être étudiée avec beaucoup d’attention tant pour sa mise en place « structurelle » que par la formation continue du personnel. La gestion par PCU est particulière et toute différente dans sa manière d’aborder le citoyen. Prendre en compte cette spécificité est un gage de réussite.
Le gouvernement actuel pourra-t-il encore accélérer les réalisations concrètes et la montée en puissance d’équipes internes d’analyse, d’organisation et de digitalisation ? L’informatisation, la refonte des processus, la simplification administrative et la lisibilité des documents administratifs sont autant de défis que pourront relever les administrations 4.0.
Défi N°4 : La restructuration sera-t-elle dotée de moyens et de réels dispositifs d’accompagnement et de management du changement ?
Le transfert de compétences est une période de grande instabilité pour une organisation. Il est donc important de la préparer minutieusement. Pour maîtriser au mieux ce changement, il est impératif de prendre en compte une phase de test, une phase d’implémentation et clôturer par une phase d’évaluation. La réussite d’un tel transfert peut avoir des implications catastrophiques ou revalorisantes sur la motivation du personnel, la mise en valeur des compétences internes et – c’est essentiel pour demain – sur l’efficience et l’efficacité des services publics.
Ici les observateurs pourront être sensibles à la mise en place, au renforcement, à la mutualisation d’expériences et de bonnes pratiques en management du changement. Le nouveau gouvernement va-t-il créer un réel corps de fonctionnaires et d’agents qui, en interne, maîtrisent les fondamentaux du management du changement ? C’est en Wallonie qu’une des plus efficaces certifications au management du changement est née (IMCM), mais c’est surtout dans les hôpitaux wallons, en France et au Québec, à nouveau, qu’elle se répand dans les services publics.
En conclusion
Retrouvons-nous dans 12 mois pour évaluer ces quatre balises de sérieux dans la gestion publique que sont : la mise en place de réorganisations concrètes, le recours aux moyens de formations internes, le recours aux équipes internes qui préparent l’administration 4.0 en Wallonie et le renforcement des moyens, des équipes et des pratiques d’accompagnement du changement.
Toute transformation doit être pesée avec beaucoup de sérieux et des mécanismes d’accompagnement doivent être étudiés afin de garantir une transition sereine tant pour les services publics, les citoyens que pour les membres du personnel, car c’est également à la lumière de ces transformations que l’on jugera de l’exemplarité de l’administration.
Contact :
Fabrice Jamar fja@polytechnique.education
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