R&D : mettre la fragmentation mentale au service des décideurs, une nouvelle avancée du Laboratoire de la Décision (Labdec)
- Polytechnique Info

- 7 sept.
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Dernière mise à jour : 8 sept.

En observant des dizaines de décideurs, l’équipe du Labdec (Laboratoire de la Décision) vient de modéliser et de mieux cerner encore le rôle particulier de la fragmentation mentale dans la prise de décision. Nous pouvons déjà en retirer quelques pratiques intéressantes pour nos prochaines prises de décision...
La "fragmentation mentale" est une opération intellectuelle qui vise à séparer un groupe d'information du bruit de fond informationnel qui entoure nos cerveaux. La fragmentation peut être unique : nous nous rendons compte que quelqu'un vient vers nous, nous repérons un chiffre qui interpelle dans un tableau de données et nous orientons notre attention sur ce fragment d'information.
A ce premier fragment, peut en suivre un deuxième avec la reconnaissance du visage de la personne qui se rapproche ou encore le lien avec d'autres chiffres qui nous avions en mémoire...
La question clé de cette recherche était : le nombre de fragments que nous isolons mentalement joue t-il non seulement sur la qualité de décision mais ne produit il pas en outre des effets collatéraux ?
Et la réponse est : oui, et les effets sont en grande partie inattendus
Sortir sans doute de la décision sur un choix unique
On peut comprendre assez facilement que décider sur base d'un seul fragment, d'une seule solution, d'une seule observation, d'une seule piste de travail, d'une seule proposition n’est pas vraiment effectuer un choix, elle correspond plutôt à une mise en œuvre de notre pensée spontanée ou de la proposition qui nous est soumise.
Réfléchir, entrer dans un vrai travail intellectuel de décision demande d'élaborer, de collecter au moins une alternative. C'est évidemment dans ce cas que nous commençons à comparer ces deux solutions, à nous forger réellement un choix.
Si nous sommes assez nombreux a être d'accord sur ce travail de décideur qui est d'imaginer des alternatives, généralement notre réflexion sur la prise de décision d'arrête là.
Pourtant, créer un choix binaire n'est qu'une étape.
Ce progrès dans la fragmentation d'une idée en un choix est, en outre, très mitigé. Notre cerveau, par l’envie de faire simple, préfère en effet opposer les deux alternatives pour en préférer très clairement une des deux. Souvent, il faut le reconnaître, ce choix est influencé par des biais cognitifs acquis et des convictions existantes que ce choix ne bouleverse pas. Forger des alternatives est une porte entrouverte, pas encore un enrichissement de nos prises de décisions.
Sortir du simplisme avec une fragmentation à 3 choix
Vient alors la fragmentation à trois choix, un tableau à trois colonnes une cartographie à trois solutions ou trois thématiques. Un triple choix rend le travail de "simplification et d'exclusion binaire" plus difficile pour nos cerveaux pressés. Créer un troisième choix provoque bien un enrichissement considérablement de la réflexion.
On observe d’ailleurs, chez la plupart des décideurs confrontés à ce triple choix, l’émergence spontanée de critères de décision et ce, avant même d’analyser les différentes composantes. Sur base de quoi dois-je décider ?
Un comportement que l’on ne retrouve pas dans les choix uniques ou binaires.
Entrer dans des analyses qui créer des décisions opérationnelles solides
Puis vient la cartographie décisionnelle en quatre catégories : ce que l’on appelle habituellement les matrices.
On peut penser à la matrice SWOT, à la matrice d’Eisenhower, ou encore à la matrice de premier cadrage.
Toute une série d’outils en "quatre cases" qui conduisent à organiser nos informations, notre pensée, voire nos solutions sur deux axes, chaque axe étant bipolaires.
Un exemple : les matrices à quatre fragments d'analyse

Prenons l'exemple de la matrice SWOT.
Nous avons deux axes : un axe vertical qui fragmente l'interne de l'externe (forces et faiblesses internes en haut, opportunité et risques extérieurs en bas). Et un axe qui fragmente ce qui est positif de ce qui est négatif pour l'organisation : à gauche forces et opportunités pour le volet négatif et à droite les faiblesses et menaces pour le volet négatif pour l'organisation.
Le fait de comparer deux axes et quatre pôles entraîne donc bien une réflexion beaucoup plus riche et une segmentation avec priorisation, ou encore des liens entre les différents éléments des quatre catégories. Cela offre une qualité décisionnelle tout à fait différente.

"Dans notre travail sur les fragmentations, nous avons également intégré les répartitions en cinq champs d’analyse, avec par exemple la grille des 5M.
Cette approche semble particulièrement efficace quand on veut faire un état des lieux. Elle ouvre en effet la réflexion et oblige généralement le décideur à collecter de nouvelles informations. Les cartographies à cinq colonnes sont donc particulièrement intéressantes pour les décisions collectives". Charles-Henri RUSSON, Directeur du Labdec.
La fragmentation hexagonale, particulièrement intéressante pour les décisions collectives complexes
Enfin, nous avons poussé les observations jusqu’aux matrices hexagonales, à six catégories.
Nous les retrouvons notamment dans les analyses de risques ou les matrices de positionnement marché.
Là, nous pouvons constater que la collecte d’informations devient très complète, mais elle peut aussi se révéler plus rapide qu’avec des cartographies à quatre ou cinq cases, comme évoqué précédemment.
On pourrait dire que ceux qui veulent décider de manière large, en tenant compte de l’environnement, d’une grande diversité d’opinions ou de variables, peuvent préférer ces matrices à six choix.
Elles offrent en outre une fragmentation qui demande, après la répartition, un vrai travail de rapprochement, de mise en réseau décisionnel très opérationnel pour le décideur. Un rapport quantité/qualité d’informations qui semble très intéressant pour des décisions collectives complexes.
En conclusion
Cette étude met en relief l’importance de choisir une fragmentation de traitement de l’information en fonction de nos priorités :
Fait on du simple (un choix/un fragment)
Veut-on ouvrir la réflexion et confirmer nos choix spontanés (une alternative/du binaire/deux fragments)
Veut-on vraiment comparer et faire surgir les critères de choix (trois choix / trois fragments)
Veut-on créer des liens logiques, des plans d'action opérationnels (matrice à quatre fragments)
Veut-on un état des lieux avant de décider (cinq fragments/ cinq colonnes/cinq choix)
Veut-on une réflexion complexe solide (passer à six fragments)
Il est évident que, quand on doit aller vite et maintenir une certaine constance, la décision spontanée est la plus rapide.
Si l’on veut réfléchir davantage, entamer un processus de choix et imaginer au moins une alternative permet d’innover et de s’adapter.
La véritable réflexion semble commencer avec trois choix.
Avec quatre choix, on est déjà en train de créer des liens qui n’existaient pas auparavant, et donc de sélectionner des priorités et des causalités : ce qui donne des décisions opérationnelles de très bonne qualité.
Si l’on monte à une cartographie fragmentée en cinq choix, on entre dans un état des lieux à 360 degrés beaucoup plus riche, mais on pourrait presque lui préférer une cartographie à six choix, qui a l’avantage d’équilibrer trois choix d’un côté et trois choix de l’autre, sans avoir une case centrale "refuge" comme c’est le cas dans la matrice à cinq cases.
À nous tous, à l’avenir, de repenser l’intérêt, au quotidien, des matrices à trois ou quatre fragmentations.
Pour rappel, la modélisation D25 se compose d’une modélisation de la décision complète et d’un parcours individuel pour décideur, qui contient un autodiagnostic et des conseils fondamentaux pour l’analyse, la tension, la lucidité et la résilience décisionnelle.
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